8 avril 2020

Les Confins. Épisode 20

— Non, mais je ne vais pas sortir au milieu de tous ces insectes ! proteste Fora, révulsée.
— Ils viendront te chercher, fait l'inconnue en haussant les épaules.
La jeune femme avale sa salive.
Elle commence à vraiment regretter cette petite escapade au milieu de la Cryptobibliothèque. Depuis le début, elle n'a que des ennuis. On aurait pu penser qu'un endroit où l'on range les livres serait tranquille.
Après avoir soupiré profondément (se détendre le diaphragme, c'est essentiel), elle sort un pied de la boîte en espérant ne pas marcher sur des modèles réduits de ces insectes.
Par chance, sa semelle se pose sur le sol meuble.
Elle assure sa position et s'extrait de la prison. Le décor est vertigineux. Une voûte gigantesque couvre un tas monstrueux d'ordures en tous genres. Fora préfère ne pas regarder dans le détail.
Sur les parois de la salle démesurée, un peu aplatie, s'ouvrent des galeries, des sortes d'alvéoles qui se perdent dans l'ombre.
Et puis, partout, ce sont des poissons d'argent qui fourmillent et qui frétillent. C'est comme si les parois étaient prises d'un tremblement continu, un éternel frisson. Et Fora frémit à son tour. Elle a l'impression d'un papier peint aux motifs psychédéliques, prêt à se décoller et à lui tomber dessus.
Pour combattre ce sentiment de chute imminente, elle se raidit et se tient plus droite que jamais. Il n'y a nulle part où fuir. Elle a juste envie de fermer les yeux et d'attendre la fin.
Sur sa peau, elle sent la brise étrange que produisent les insectes en se mouvant, comme s'ils se promenaient directement sur son visage. Un écœurement la prend. Elle voudrait se gratter furieusement les joues.
— Sorcière !
Elle tourne légèrement la tête sur le côté.
Un homme se tient là.
Il est très étrangement vêtu d'un costume qui fleure bon l'Ancien Régime : une chemise blanche à bords très larges qui dépasse sur sa casaque noire, couvrant un pourpoint de même couleur. En bas, il porte une culotte et des bottes tout aussi noires.
Mais la tête retient toute l'attention.
Le chapeau est un tricorne sombre paré d'une élégante plume blanche. Il est posé sur une sorte de masque étrange, entièrement fait de métal. Fora songe au casque complet des hoplites. Il n'y a que des trous pour les yeux, si enfoncés qu'on ne distingue pas l'iris.
C'est lui qui a parlé.
Il ressemble aux Jacquemarts mais il n'est clairement pas un automate. Sa voix constitue un autre mystère. Elle est très basse et profonde, à la Dark Vador (ou Darth Vader en vo).
— Sorcière ! répète-t-il.
La poitrine de Fora vibre sous les sons graves. Elle songe que le premier homme qu'elle rencontre ici-bas a toutes les chances d'être un méchant, et que c'est dommage.
Il tire de son fourreau, suspendu au baudrier, une longue épée qu'il pointe sur la jeune femme. Fora n'ose même pas reculer.
— Bats-toi ! ordonne-t-il.
— Non, merci, tente Fora.
Le masque aux trous noirs la fixe un long moment. Même si elle ne voit pas les yeux et que le métal demeure immobile, elle ressent son irritation.
— Où est ta rhabde ? reprend-il.
— Ma quoi ?
— Sors ton arme !
Fora tend les mains, paumes ouvertes, pour prouver qu'elle ne possède rien de tel. En même temps, elle réfléchit. Cette rhabde pourrait être l'espèce d'épée qu'elle a vu Elinor manier contre les Jacquemarts.
— Je ne suis pas une sorcière, ajoute-t-elle.
L'homme masqué secoue la tête, en proie à un mouvement de colère. Il pousse un hurlement guttural.
Fora recule.
— Vous vous êtes trompés ! lance-t-il à la ronde, serrant le poing. Ce n'est pas une sorcière ! Remettez-la en cellule ! Je vais m'en charger moi-même.
Aussitôt, les poissons d'argent s'agitent et se resserrent autour de la jeune femme.
— Pas de problème ! J'y retourne tout de suite.
Fora remonte très vite dans sa boîte. Le bruit des soies qui s'effleurent pourrait la rendre folle. Elle ne veut surtout pas être touchée de nouveau par ces carapaces chitineuses hérissées de gros poils.
Derrière elle, la grille se remet en place avec un claquement sec.
— C'est qui, ce type ? murmure-t-elle à direction de l'inconnue.
— Aucune idée…
Fora la soupçonne de mentir, mais elle estime que ce n'est guère moment d'en débattre. D'ailleurs, l'inconnue la fixe étrangement. La jeune femme se frotte le visage.
— J'ai un insecte sur moi ?
— Tu n'es pas une sorcière.
— Bah, non ! Je t'ai dit que je venais d'ailleurs.
— Elmaryl.
Fora fronce les sourcils, surprise.
— Hein ?
— Elmaryl. C'est mon nom.
—Ah, j'ai le droit de savoir maintenant ?
— Regarde les faces de la boîte, ordonne la dénommée Elmaryl sans se départir de son ton concentré.
Fora observe distraitement les côtés. Elle est prête à dire qu'elle ne voit rien quand son œil accroche d'étranges écritures. Cela ressemble à des symboles ésotériques ou une étrange écriture calligraphiée.
Elle passe le doigt dessus, notant que les signes sont profondément gravés dans le bois.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Ce sont des sceaux. C'est ce qui m'empêche de m'échapper.
Fora acquiesce, ne sachant quoi dire. Elle est un peu dépassée par les événements.
— Il faut que je fasse un truc ?
— Tu vas effacer cette partie qui revient tout le temps. Et écrire mon nom à la place. Cela devrait annuler la puissance des sceaux et nous permettre de sortir.
Fora montre de nouveau ses mains vides.
— Mais je n'ai rien sur moi !
— Tu as tes ongles.
Elle a beau ne pas être très à cheval sur la manucure, elle envisage avec une certaine inquiétude le fait de se rogner tous les ongles sur un matériau résistant.
— Pourquoi est-ce que vous ne le faites pas vous-même ?
— Si c'était possible, je serais déjà partie depuis longtemps !
Elmaryl se penche vers elle et lui chuchote ensuite :
— Fais-le et je te promets de nous tirer de là.
— Bon, d'accord.
Alors, Fora entreprend de griffer les murs de leur prison.
Elle a l'heureuse surprise de constater que la matière qui constitue la boîte se révèle bien plus tendre que prévu. Il s'agit en fait d'une sorte de carton épais qu'elle avait pris pour du bois.
Elle efface alors le glyphe présent sur les cinq faces.
— Si j'écris ton nom en lettres latines, ça ira ?
— Cela devrait suffire.
Fora s'active. Au-dehors, même si elle n'ose regarder, les insectes s'agitent.
— Aïe ! Je me suis pété un ongle !
— Tu y es presque !
D'un index malhabile, la jeune femme inscrit le nom dans les espaces laissés libres. Elle ne peut s'empêcher de tirer la langue sous l'effet de la concentration. À peine a-t-elle achevé la dernière lettre qu'une lumière bleutée l'aveugle.
Elle se tourne, stupéfaite.
Les yeux d'Elmaryl ont de nouveau pris une impressionnante lueur saphir. Un sourire terrible s'inscrit sur son visage, découvrant ses dents.
— Maintenant, ça va chier ! gronde-t-elle.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Monsieur Clavel,
Pardon de passer par les commentaires de votre blog, mais je n'ai pas trouvé d'autre moyen de vous contacter, j'espère que je ne vous embête pas.
Je suis actuellement étudiante en seconde année de master Culture de l'Ecrit et de l'Image à l'ENSSIB de Villeurbanne, et je travaille sur un mémoire sur les romans steampunk français et la place de la femme, sous la direction du professeur d'histoire contemporaine Christian Sorrel.
Dans le cadre de mon étude, j'ai lu et apprécié votre roman "Feuillets de Cuivre", et j'aimerais beaucoup pouvoir vous poser des questions sur votre travail. Puis-je vous envoyer mes questions, est-ce qu'un échange par mail ou par téléphone vous conviendrait ? Je reste à votre disposition pour toute précision, vous pouvez me contacter à l'adresse suivante : juliette.royere@yahoo.fr
Dans l'attente de votre réponse, veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes salutations distinguées.
Juliette Royere