27 avril 2009

Dexter ou la métaphore équivoque


Finalement, j'ai réussi à terminer la troisième saison de Dexter, série américaine assez culottée. Je commence par un titre pédant pour te montrer que ça ne va pas rigoler et que c'est pas parce qu'on cause de série américaine qu'il faut se relâcher du cortex. Commence par aller voir le générique, histoire de voir de quoi je parle.

Dès l'ouverture, la métaphore est en place. On assiste à tous les gestes du quotidien, plus précisément ceux du lever. Dans une musique guillerette et ironique, faussement détendue, tous les rituels du matin sont passés en revue depuis le rasage jusqu'à l'habillage en passant par le petit déjeuner. On comprend rapidement que quelque chose cloche parce que dès le rasage, du sang apparaît et donne le ton. Tout le reste sera à l'avenant. La viande que l'on fait cuire évoque, par la magie des gros plans, un corps que l'on écorche avant de se livrer à un cannibalisme gourmand. L'oeuf sur le plat éclate comme un oeil percé et le ketchup reprend le motif de la tache de sang. L'orange (sanguine, bien sûr) que l'on presse rappelle de la chair en bouillie. Même le laçage des chaussures a de faux airs de strangulation. En outre, on ne cesse de jouer à cache-cache avec le visage de l'homme dont le lever nous est présenté. Il apparaît par métonymie : sa bouche, sa gorge, ses bras. Il sera identifié dans les dernières secondes, émergeant d'un t-shirt qui semble l'étouffer : c'est Dexter. Et quand Dexter ôte la clé de la serrure, on dirait qu'il ressort un couteau d'une plaie. Il part de chez lui et nous adresse un signe de tête. Bien sûr, c'est notre voisin !

Qui est Dexter ? C'est un jeune homme sympathique qui a été trouvé dans une mare de sang tout petit alors que sa mère venait d'être exécutée par des gangsters. Le flic qui l'a découvert l'a adopté. Il s'est aperçu que ce passé perturbant a laissé des traces chez Dexter. Il aime tuer, voir le sang jaillir. Comme il s'est pris d'affection pour ce fils adoptif un peu spécial, il lui enseigne un code qui l'empêchera de tomber aux mains de la police. D'abord, ne tuer que des meurtriers qui échappent à la justice. Ensuite, prendre des précautions pour ne pas être démasqué. C'est ainsi que Dexter rentre dans le rang : il travaille dans le département de police de Miami comme expert en taches de sang. La nuit, il rôde pour tuer ses semblables. Il est donc tout entier occupé à canaliser ses pulsions assassines de manière à s'intégrer au mieux dans la société.

Au départ, je n'étais pas très chaud pour regarder une série qui fait d'un tueur en série son héros. Je crains toujours un spectacle racoleur, ou bien la banalisation. C'est ce qui me retient encore de regarder Les Soprano qui prend pour personnage principal un parrain de la mafia. Dexter échappe à tous ces écueils. D'abord, il met le spectateur dans une position inconfortable : c'est un tueur, certes, mais il tue des tueurs. Dans un pays qui pratique la peine de mort, le discours est extrêmement ambigu : si la société tue les assassins, pourquoi les citoyens ne pourraient-ils pas s'en charger eux-mêmes ? En même temps, il devient également un assassin et mérite à son tour la peine de mort. Cet aspect est souligné à de nombreuses reprises dans la saison 2, où l'on découvre les victimes du "Bay Harbour Butcher", tueur en série qui n'est autre que Dexter. Les personnes interrogées aux informations affirment pour beaucoup être contentes que quelqu'un fasse le sale boulot à leur place. Cette ambiguïté se poursuit dans la saison 3 où l'on croise un adjoint au procureur qui a des méthodes expéditives. De là à dire que Dexter et le procureur font le même métier...

Dexter est un miroir proposé à la société américaine, ainsi que les autres. La série sera bien plus anticonformiste qu'une série comme Californication qui, à mon sens, sous couvert d'impertinence, est au fond assez réactionnaire. Car Dexter cherche absolument à vivre une vie normale, même s'il n'éprouve pas vraiment d'émotions. On le voit se chercher un frère et une soeur dans la saison 1, puis un ami dans la saison 3. Mais il ne fait qu'imiter les sentiments et les réactions de son entourage, de jouer le rôle qu'on attend de lui. Dans ce cas-là, il commente en voix off, nous montrant qu'il n'est pas dupe. Il joue constamment sur l'équivoque pour nous prouver que sa vie de tueur ressemble à la nôtre (ainsi que le montrait déjà la métaphore du générique, présentant la violence sous l'apparent calme conventionnel du matin). La saison 2 est emblématique car elle joue sur le thème de l'addiction. La petite amie de Dexter est persuadée que celui-ci est accroc à la drogue. Il va donc aux Alcooliques Anonymes pour parler de son addiction avec des mots qui peuvent désigner aussi bien son désir de tuer que celui de boire. Ce procédé revient très souvent dans la série où les personnages parlent avec Dexter en employant les mêmes formules toutes faites, qui prennent un sens nouveau dans la bouche du tueur.

On pourrait se lasser de tout cela et c'est le risque à moyen terme. Pourtant, après avoir donné à Dexter un concurrent de poids, Icetruck Killer (saison 1), après avoir exposé son repère de cadavres (saison 2), après lui avoir donné un ami (saison 3), on ne sait pas ce que les scénaristes vont encore pouvoir trouver. Mais Dexter se crée une vie sociale de plus en plus fournie (amis, femme, enfants...), ce qui fait qu'on craint de façon croissante le moment où il sera découvert. Peut-être que d'ici-là on aura découvert d'autres secrets odieux chez ceux qui l'entourent. En tout cas, pour l'instant, ça tient sacrément bien la route. Tu devrais y jeter un coup d'œil. En plus la musique de fin est excellente (attends un peu que ça charge, ça vaut le coup).

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