29 juin 2010

Chose vue 24 : divertissements

Munich, à deux pas de la Marienplatz, le soir.

Des lions décorent la vitrine à fond vert du centre commercial. Des peluches grandeur nature qui se partagent l'espace avec des joueurs de football habillés aux couleurs de l'Allemagne. Un écran plat a été installé entre les mannequins de fortune et retransmet un match quelconque pour quelques quidams aux joues balafrées de noir, de rouge et d'un jaune évanescent.

De l'autre côté de la rue piétonne, sous une arcade, les bijoutiers ont descendu leurs grilles de métal pour la nuit. Dans un coin, on a placé un piano quart de queue. Un virtuose à gilet et à catogan est assis devant le clavier et joue un morceau de classique. Du Chopin peut-être.

Difficile de ne pas remarquer que son auditoire est composé principalement de femmes. Et que les hommes sont en face.

27 juin 2010

Soleil des Abysses. Extrait 1/3

Soleil des Abysses est un roman jeunesse de science-fiction à paraître en septembre 2010 chez Mango dans la collection Autres Mondes. Ce premier extrait est le début du livre. Deux autres suivront d'ici la parution, à raison d'un par mois.


Une lampe clignote au-dessus de moi.

Des lueurs rougeâtres. Pourtant mes paupières sont fermées. Je les ouvre, la lumière m'aveugle. Tout est blanc. Puis des formes se dessinent peu à peu, à gros traits.

La clarté trop forte m'oblige à détourner le regard. Mes yeux roulent dans leurs orbites, j'ai l'impression qu'ils sont faits de porcelaine et qu'ils pèsent une tonne.

Ma vision se précise. Je suis allongé dans une sorte de lit rembourré dont les côtés remontent. Un couvercle transparent, dont j'aperçois l'extrémité à mes pieds, refermait le caisson.

Je n'ai aucune idée de l'endroit où je me trouve. Cette pensée devrait me terrifier. Néanmoins je reste calme. Rien ne me menace encore.

Je veux redresser mon buste mais il est très lourd et m'entraîne en arrière. Je suis obligé de m'accrocher aux rebords pour me mettre en position assise. La pièce tourne autour de moi, il m'est difficile de distinguer quoi que ce soit. Plusieurs secondes me sont nécessaires pour que les murs arrêtent de faire la ronde.

Quand ils se figent enfin, j'aperçois une grande salle aux néons pâles. On se croirait dans un hôpital, tout a l'air si propre, si déprimant. J'ai l'impression de me réveiller dans une chambre inconnue, rien ne m'est familier. Mes mains sont longues, mes veines ressortent sous la peau très fine. Les tendons apparaissent quand je fais jouer mes doigts. J'ai le poignet fin, presque maigre.

Qu'est-ce que je fais ici ? Ai-je été enlevé ? Si je me fie à mes sensations, je pourrais croire qu'on m'a endormi au chloroforme, comme dans les livres. Les héros se mettent toujours à vomir quand ils se réveillent. D'ailleurs, je ne me sens pas très bien.

Quand je parviens enfin à m'extraire de mon caisson et à poser les pieds par terre, un grondement me parvient. Un ronflement sourd, à peine perceptible mais continu. Je me demande d'où il provient.

À peine me suis-je posé la question qu'un nouveau problème se présente à moi. La pièce est remplie de lits étranges, le même modèle reproduit à l'identique. Il y en a six, disposés en cercle. Sept en comptant le mien.

Je me mets debout sur mes jambes qui flageolent encore et me dirige vers le cercueil de verre le plus proche. L'expression m'est venue naturellement. On s'attend à y trouver des cadavres. Ma bouche est sèche quand je me penche au-dessus de la vitre de protection.

Je suis un peu soulagé de ne rien voir. La buée opacifie le couvercle. Je remarque seulement des points lumineux sur le flanc de la machine, indiquant peut-être les signes vitaux de la personne à l'intérieur. Pour celui-ci, tout à l'air de fonctionner. Il en va de même pour les trois suivants.

En arrivant au quatrième, je reçois un choc : il n'y a aucune condensation sur le verre.
Image : source www.rougerie.com, unité de vie sous-marine, ferme sous-marine.

19 juin 2010

True blood ou la désacralisation vampirique


Je suppose que tu as déjà entendu parler de cette série. Personnellement, je n'étais pas extrêmement chaud, ayant trouvé la précédente série d'Alan Ball, Six Feet Under, un peu lourde vers la fin. Mais comme j'en ai entendu pas mal de bien, je me suis lancé.

Le contexte ? Les vampires sont sortis du placard et ont révélé leur existence. Ils militent désormais pour obtenir les mêmes droits que les humains. Ce qui permet aux deux espèces de cohabiter, c'est le True Blood, un sang synthétique fabriqué au Japon.

L'histoire commence de nos jours en Louisiane. Une jeune serveuse télépathe (sic), Sookie, tombe amoureuse d'un vampire centenaire qui essaye de se mêler aux humains. Il s'appelle Bill. Ce qui séduit Sookie, c'est qu'elle ne parvient pas à capter les pensées de Bill et que cela la repose de n'avoir pas à se contrôler sans arrêt.

Raconté comme ça, cela a des faux airs de Entretien avec un vampire (qui se passait déjà en Louisiane et mettait à profit son décor moite jusqu'à la putridité) et avec Twilight (pour le côté romance vampirique à base de télépathie contrariée). Le début de la première saison nous fait craindre le pire puisque tout semble tourner autour de la relation Bill-Sookie. On ne vibre pas forcément parce que Sookie est assez nunuche et Bill un peu falot.

Mais ce serait dommage de s'arrêter là. Rapidement, on perd toute ressemblance avec les modèles précédemment évoqués. En effet, là où Rice et Meyer ont tendance à se prendre au sérieux, Ball se vautre avec délectation dans le second degré. Il commence avec des thèmes profonds comme l'intégration des minorités, la tolérance, le racisme, l'intégrisme religieux, et fait ensuite tout sauter avec un humour dévastateur.

Car True Blood est une série extrêmement drôle. Les vampires sont traités d'une façon triviale, que ce soit sur la manière de se nourrir (le True Blood n'est pas très bon), de transformer son prochain (un jeune vampire peut être une plaie surtout s'il est en crise d'adolescence), d'être immortel (les vampires ont parfois des goûts très kitsch). Par un ingénieux retournement, le sang de vampire est affecté de pouvoirs narcotiques qui en font une drogue de premier choix. Les traqueurs sont aussi traqués.

L'autre bonne surprise, c'est que la série joue à fond la carte du feuilleton. Chaque épisode suit directement le précédent et les saisons s'enchaînent. Les auteurs s'amusent à ménager des suspens énormes à la fin de l'épisode, parfois complètement artificiellement mais cela n'a pas beaucoup d'importance. On se moque de l'enquête sur un serial killer qui n'est qu'un prétexte.

Les personnages secondaires sont un autre atout. Entre Tara qui a toujours le gros mot à la bouche, Sam qui joue les chiens de berger, Lafayette qui deale tout ce qu'il peut, Jason qui saute sur tout ce qui bouge, la série nous décrit la vie du petit bled de Bon Temps (tout un programme) où l'on voit défiler une galerie colorée de figures.

Mais surtout, la série se permet tout. Le sexe et la grossièreté n'y sont pas que des éléments racoleurs mais contribuent à donner à l'ensemble une allure débridée et joyeuse. De même l'imagination ne connaît pas de limites : sont convoqués des métamorphes, des ménades, des loup-garous, des sorcières.

True Blood, comme son titre l'indique (rien n'est plus faux que le True Blood), joue sur les apparences. On ne sait jamais qui sont vraiment les gens, humains, vampires ou autres. Tout le monde se ment, se dissimule. De même, la série joue sur les changements de registre. Même si on a rarement peur, on passe rapidement du rire à l'émotion, grâce à des petits détails très bien pensés.

J'espère que la série va conserver sa liberté de ton, qui me rappelle Buffy contre les vampires version adulte (et je ne saurais trouver de meilleur compliment). Après avoir vu les deux premières saisons (on en annonce au moins deux encore), ça semble aller dans le bon sens.

11 juin 2010

Chose vue 23 : après le déluge

La semaine dernière, le matin, au départ du 128.

La pluie est battante et le ciel tout gris. L'eau tombe depuis plusieurs jours. Lorsque le bus arrive, tout le monde se précipite à l'intérieur et s'assoit rapidement à l'abri. A l'arrière, un siège semble plus foncé que les autres. On passe la main dessus : il est trempé.

Le jeune chauffeur quitte son volant et commence à remonter la travée centrale, avisant les plafonniers d'un œil professionnel. Il arrive à celui du fond et tapote l'enveloppe plastique du luminaire, marquée d'une tache jaune assez importante.

S'étant muni d'un couteau suisse, il défait une à une les vis qui retiennent la protection. Quand il arrive au bout de sa besogne, il incline doucement la pièce de plastique incurvée. Un flot d'eau croupie se déverse. Il n'y a plus qu'à tout remettre en place avant de repartir.

9 juin 2010

Le Châtiment des Flèches


J'espère que tu as été sage parce que voici l'illustration de mon livre de fantasy historique à venir chez Pygmalion le 15 septembre. La couverture est signée Alain Brion. L'annonce de sortie du bouquin est .

Je t'en ai déjà parlé et je t'en reparlerai, si possible avec quelques extraits à l'appui. Pour l'instant, je laisse ton imagination vagabonder sur cette image de cavaliers magyars dans la Puszta de l'an mil.

7 juin 2010

A mort la pub !


Il y a un an à peu près, je réagissais ici à une pub sexiste d'une agence de location de bagnoles. Eh bien, elle a remis ça, sur le même site (il faut dire que l'été arrive). Cette fois, il s'agit, non pas de dénigrer la femelle, mais simplement de flatter le mâle dans ses bas-instincts et son bas-ventre.

Je t'explique : on voit une star du porno, Rocco Siffredi en personne, nous affirmer que "Pas besoin d'en avoir une grosse". Un peu plus loin, il ajoute : "Le soir, je mets toujours la capote". On y retrouve l'association désopilante entre voiture et virilité.

C'est pas méchant, me diras-tu. Sauf que ça vient après leur autre campagne de pub et que, du coup, leur rire gras est chargé de relents machistes. On peut rire de tout mais pas avec n'importe qui.

Pour poursuivre dans cet humour délicat, je te propose de louer une de leurs voitures, de te rendre dans une ville portuaire et de fracasser ton véhicule contre une bitte d'amarrage (photo ci-dessus). Si on te demande ce qui t'a pris, tu diras que c'est pas de ta faute si la voiture est partie en couille. On verra s'ils rigolent.

Image : source Wiktionnaire à l'article "bitte".

6 juin 2010

Avis avisés

Je livre à ta sagacité quelques critiques ramassées sur la Toile. La première concerne Homo Vampiris chez Scifi-universe.com.

La deuxième et la troisième reviennent sur l'anthologie Magiciennes et sorciers dans laquelle j'ai publié la nouvelle "Chamane" : c'est chez les Chroniqueurs vagabonds et chez Parchments of Sha'.

La dernière se penche sur Galaxies n°7 où j'avais donné la nouvelle "Le Printemps des murailles" : va voir sur Phenixweb.net.

4 juin 2010

A marquer d'une pierre blanche


Aujourd'hui, on commémorait les 90 ans du Traité de Trianon qui, le 4 juin 1920, ôtait à la Hongrie vaincue les deux tiers de son territoire. Certains en conçoivent une légitime amertume qui se tourne souvent contre les Français, étant donné que le papier fut signé à Versailles et que Clemenceau a pesé dans ce découpage.

Comme l'extrême-droite et divers autres conservatismes s'appuient sur ce drame national pour construire un discours victimaire et revanchard, on craignait quelques incidents, mais tout semble s'être déroulé dans le calme.

L'ironie de ce ressentiment est d'autant plus forte qu'en France, on s'est empressé de tout oublier du traité, tandis qu'en Hongrie on aime à le ressasser, parfois ad nauseam. Les relations plus que tendues entre la Slovaquie et la Hongrie en sont un héritage direct. En fait, il est impossible de comprendre l'histoire de ce pays au XXe siècle sans prendre en compte ce qui constitue un véritable traumatisme.

Cet anniversaire est une bonne occasion de se souvenir de ce qui s'est passé, il y a 90 ans, jour pour jour, dans le palais du Grand Trianon.

Image : source Wikipedia, Borne à la frontière hongro-roumaine datant de 1922, photographie prise en 2006.

Prophyria urbana. Chapitre 3


Le troisième chapitre de la nouvelle collaborative est en ligne depuis quelques jours à cet endroit. C'est l'occasion de voir apparaître notre troisième personnage. Ensuite, on prend les mêmes et on recommence. A moins que...

2 juin 2010

Chose vue 22 : sans les mains

Le matin, gare de l'Est, Paris.

Il n'y a pas grand monde, à cette heure, à arpenter le hall de la gare : des militaires armés de mitrailleuses et de mines rébarbatives, des enfants en pagaille qui partent en colonie, des hommes d'affaires pressés. Et puis lui.

Le vieil homme s'est assis sur les bancs métalliques placés devant le tableau des départs. Ses cheveux rares sont bien coiffés en arrière, son pardessus est fraîchement repassé. Digne, il lit le journal posé sur ses genoux.

Et puis, soudain, il lui prend l'envie de le replier. C'est long, ça fait du bruit. Un froissement agaçant monte. On s'énerve de sa maladresse de vieillard quand, malgré tout, il parvient à ses fins. C'est alors qu'il part et qu'on voit, à la place des mains, deux moignons encore roses, aussi lisses que son pardessus.

1 juin 2010

Sondage romarin de juin


Voici les résultats de notre dernier sondage. Si tu voyageais dans le temps, tu irais d'abord assister, petit coquin, à la nuit de noces de Victor Hugo (40%). Sinon, tu irais voir Louis XVI sur l'échafaud (25%), la dernière du Malade imaginaire (20%). Par contre, tu ne serais pas très chaud pour voir Jean-Claude Van Damme en tutu (15% seulement) ou notre président faire tomber le mur de Berlin à lui tout seul (10%).

Une fois n'est pas coutume, ce blog va servir la sainte cause de l'État en participant à un débat brûlant. Tu as dû remarquer que le ministre de l'Éducation nationale avait du mal à trouver de nouvelles idées pour supprimer des postes. N'écoutant que le patriotisme viscéral qui nous anime, proposons-lui nos idées les meilleures.

Quelles pistes vas-tu privilégier pour supprimer des postes dans l'Éducation nationale ?
  • Abattre en masse les enseignants
  • Rouvrir les mines pour occuper les collégiens surnuméraires
  • Développer des vidéoconférences pour les maternelles
  • Élever l'ignorance au rang de matière obligatoire
  • Confier l'enseignement à l'armée (sous la supervision de JCVD)
Cette fois, c'est du sérieux, alors concentre-toi.

Image : source Wikipedia, Die Dorfschule von 1848, Albert Anker (1896)