29 mai 2016

Gattaca ou la fable endoscopique

Comme je ne poste presque plus rien ici, je profite d'un travail effectué dans le cadre de mon lycée pour te proposer une interprétation du film Bienvenue à Gattaca, histoire de te changer les idées.


Bienvenue à Gattaca (Gattaca en vo) est le premier film écrit et réalisé par Andrew Niccol en 1997. Il est également auteur du scénario de The Truman Show (Weir, 1998). Ce film de science-fiction, genre privilégié par Niccol, décrit notre monde dans un avenir proche, froid et aseptisé où les chances de chacun dépendent de leur génome. L'un des thèmes principaux est l'eugénisme.

Le film se place dans une longue tradition. Son scénario science-fictif, mêle génétique et exploration de l'espace en les mettant en parallèle (voir 2001, l'Odyssée de l'espace, Kubrick, 1968). D'autre part, il ajoute à son intrigue des éléments de policier et de thriller (voir Blade Runner, Scott, 1982). Enfin, le décor est curieusement familier puisque, sans doute par manque de moyen, Niccol a filmé en particulier dans le centre municipal du comté de Marin (Marin County Civic Center), situé en Californie, et dû l'architecte Frank Lloyd Wright dans les années 1960 (voir THX 1138, Lucas, 1971).

Néanmoins, il trouve son propre ton par un certain nombre d'originalités qu'il convient de mettre en lumière. D'abord il se défait de toute l'imagerie science-fictive habituelle : pas d'apesanteur, pas de sol extra-terrestre, pas de robot, pas de mode futuriste, pas de portes étranges, pas d'hologrammes. C'est un « film sans imagerie » note Michel Chion (Les films de science-fiction, Cahiers du Cinéma, 2008, p.369). Il ajoute d'ailleurs que c'est l'imagerie sonore qui la remplace, notamment avec le son des moteurs des voitures. 

D'autre part, le film joue sur les effets de transparence. On trouve de nombreux objets en verre qui laissent voir notamment les fluides intérieurs du corps (sang, urine), mais aussi toute une batterie de miroirs, lunettes, lentilles de contact, parebrises, bâches plastiques qui lancent le thème du regard. Ce regard d'ailleurs est souvent contrarié par des écrans, de la fumée (qui empêche de distinguer Titan) ou simplement la myopie du héros.

Beaucoup d'éléments du décor utilisent l'opposition entre opacité et transparence et s'avèrent donc troués, que ce soit l'échelle « empruntée » métaphorique du héros ou l'escalier hélicoïdal qui apparait deux fois ou encore la maison de Jerome, béton percé de fenêtres ou celle d'Irene qui ne semble pas avoir de murs. 

Les miroirs, eux, renvoient à un scénario tout en doubles : deux dons de cheveux, deux baisers, deux sauvetages après courses dans la mer, deux invitations à danser, deux escaliers en hélice (chez le généticien et chez Jerome), deux frères (Jerome et Anton), deux fils décevants (Jerome et celui du Dr Lamar), deux citations liminaires (celle de l'Ecclésiaste et d'un psychiatre américain), deux passeurs (German le trafiquant d'identités au début et le Dr Lamar à la fin), deux mentors à cheveux blancs (Caesar le balayeur et le directeur Josef). Le héros est un faux Jerome tout du long et on a même un faux coupable. Le scénario nous invite à nous méfier. La mise en scène aussi. Le début joue sur l'échelle en nous montrant en gros plans, avec des bruits effrayants, des ongles coupés ou de poils au microscope. On joue aussi sur le haut et le bas lors de la première scène d'amour avec Irene.

Enfin, l'élément liquide se répand dans tout le film, tandis qu'animaux et végétaux en sont totalement absents. Le seul moment où on aperçoit des plantes, ce sont des algues flottant en fin d'une course de natation. D'ailleurs, les trois personnages masculins jeunes (Jerome, Eugene et Anton) pratiquent tous la natation. On évoque aussi l'utérus maternel. Pourrait-on dire alors que tout le film est construit comme une métaphore de la reproduction ? Ainsi, l'univers liquide serait celui de la cellule (on trouve de nombreux éléments arrondis dont les planètes) et nos jeunes hommes vigoureux incarneraient des spermatozoïdes dont le vainqueur nage dans un conduit (la fusée et son sas) le menant vers l'ovule (Titan). Cela expliquerait pourquoi le spectateur est perturbé dans l'échelle et dans l'orientation puisque ceux-ci n'ont guère de sens à l'échelle de la cellule.

D'autres éléments viennent renforcer cette interprétation. Le nom des personnages est éloquent : si Irene signifie « la paix » en grec et Eugene « celui qui est bien né », le nom de Jerome est proche de « génome » : sa victoire est celle du patrimoine génétique transmis à la descendance. Le nom du Dr Lamar serait donc le symbole de la mer et de la mère à atteindre.

Enfin, le film s'ouvre sur une citation de la Bible et on précise que le départ doit avoir lieu dans une semaine, soit sept jours, soit le temps nécessaire pour la création du monde.

Le spectateur serait même amené devant le brin d'ADN lui-même, symbolisé par les escaliers hélicoïdaux. Quant au titre du film et nom du centre, Gattaca, il est lui-même formé par les initiales utilisées pour désigner les bases de l'ADN (ACGT, c'est-à-dire adénine, cytosine, thymine et guanine), comme cela est montré dès le générique d'ouverture.