13 novembre 2013

De Furore

Après avoir relu certaines des critiques que je te livrais tantôt, je me rends compte que la question du sous-genre auquel appartient Furor reste problématique : est-ce de la fantasy ? de la science-fiction ? du fantastique ? Néanmoins, même si le roman joue à brouiller les frontières génériques, il n'en reste pas moins qu'il a été publié dans une collection de science-fiction et qu'il a été écrit dans cette optique. Je m'explique.

Il y a dans Furor ce que j'appellerai, faute de mieux, trois entités narratives distinctes. D'abord, le récit est assumé par un narrateur à la troisième personne, en focalisation externe. Il prend en charge la partie historique, si l'on veut, et se contente de décrire ce qui se présente sans donner de commentaire ou d'interprétation.

La deuxième entité narrative est une série de quatre personnages-narrateurs (ici, je préfère ce nom à celui habituel de narrateur-personnage) qui relatent, en focalisation interne donc, ce à quoi ils assistent et qu'ils interprètent selon leur mentalité de personnes de l'Antiquité. Ceux-là assument l'aspect fantasy du roman puisqu'ils proposent une explication magique du monde. Pour rapporter leurs émois, j'ai utilisé le flux de conscience avec absence de ponctuation, afin de plonger directement le lecteur dans leur tête.

Ces deux premières entités s'alternent tout au long du roman, parfois d'un paragraphe à l'autre. Et, peu à peu, la deuxième prend le pas sur la première (voir le dernier chapitre). Le narrateur neutre, qui avait la préséance, s'efface puisqu'il n'est plus possible de raconter les choses de façon détachée.

Quant à la troisième entité, elle n'est pas écrite. J'ai pris un risque puisque, quand il s'agit de paralittérature, le lecteur s'attend à ce que toutes les questions posées trouvent leur réponse. Or, je ne donne pas toutes les réponses. J'ai laissé un grand nombre d'indices et d'éléments qui permettent au lecteur du XXIe siècle de se forger une interprétation propre des événements racontés dans le roman. Bien sûr, il s'agit ici du versant science-fiction du texte puisque, aux explications magiques des personnages, le lecteur est invité à substituer des explications (pseudo-)scientifiques.

On peut trouver que c'est une facilité de laisser le lecteur dans l'obscurité et juger que l'aspect science-fictif n'est pas assez étayé. Tout d'abord, je ne pouvais pas, à mon sens, donner d'explication claire (quand bien même elle existe, je te rassure et, suivant le projet de lien entre mes différents romans et nouvelles, il se peut qu'elle surgisse au hasard d'un autre texte) car cela aurait créé un fossé entre les personnages et le lecteur. Or, je voulais que les deux systèmes interprétatifs soient mis sur le même plan afin que l'identification puisse fonctionner. Si on savait exactement ce qui se passe, on prendrait les personnages de haut, ils ne seraient plus que des imbéciles primitifs qui ne comprennent rien à rien. En ne donnant au lecteur que des indices, je le mets à hauteur des personnages.

C'est d'ailleurs ce qui fait que mon roman s'adresse en particulier aux amateurs de science-fiction car, en connaisseur, ce lectorat-type est plus à même de se construire son propre scénario à partir des références qu'il possède (Les déportés du Cambrien de Silverberg étant l'une des clés, par exemple, ou bien Predator qui, malgré tous mes alibis intellectuels sur la tragédie latine, est bien à l'origine de mon titre). La troisième entité narrative n'existe donc dans mon roman que sous forme de signes que le lecteur se doit de repérer et assembler afin d'écrire sa propre histoire dans les lacunes volontaires que j'ai laissées. Les flux de conscience des personnages doivent être mis en parallèle avec ceux du lecteur qui se pose des questions sur ce qu'il lit. De même, les nombreuses références littéraires d'un des personnages sont une invitation à chercher dans son propre stock de références ce qui pourrait se rapprocher de l'univers proposé. Le langage argotique des soldats (par renversement, et pour le dire vite, j'ai francisé ce qui ne l'est pas d'habitude et gardé en latin ce qui est d'ordinaire francisé), parfois difficile à comprendre, est également une invitation à l'interprétation.

Dernière chose, on remarquera que les chapitres liminaires participent de cette confusion des genres puisque le premier renvoie à l'épopée, tandis que le dernier ressortit à la crypto-histoire. En réalité, ils marquent des bornes au-delà desquelles Furor ne s'aventure pas. Une fois encore, ce sont des fragments à écrire. Tu peux voir dans La Cité de Satan une sorte de prolongement de ce dernier chapitre, d'autant que j'y reprends quelques-uns des mots d'argot inventés pour mes légionnaires.

Pour les autres aspects de Furor, si tu n'en as toujours pas assez, je te renvoie à la postface du roman (qui parle surtout de la reconstitution historique) et de l'entretien avec Bertrand Campeis sur ActuSF (qui parle plus de mon parcours et de la construction progressive du roman).

Image : source Wikipedia, gravure du Piranèse représentant la pyramide de Cestius à Rome.

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