18 novembre 2020

Il y a dix ans : Le Châtiment des flèches


Il y a dix ans, je mettais la dernière main à mon manuscrit : la publication a eu lieu en octobre 2010. J'y racontais le règne du roi Etienne Ier de Hongrie (István en hongrois, si tu veux bien je l'appellerai ainsi désormais) qui régna autour de l'an Mil, entre 997 et 1038. Ce fut lui qui fit entrer le pays dans la féodalité chrétienne. Ce roman était une première pour moi pour plusieurs raisons. 
 
D'abord, il s'agissait d'un roman historique. Cela m'a demandé pas mal de recherches, quasiment un an pour tout rassembler avant la rédaction. Je l'ai dit dans la postface qui accompagne le roman : sans la biographie du roi Saint-Etienne de Hongrie par Marie-Madeleine de Cevins, je n'aurais pas pu écrire mon histoire, la documentation disponible étant en anglais (ça va encore) et en hongrois (là, je suis largué). J'avais envie depuis longtemps d'écrire sur le personnage qui possède une aura aussi forte que Charlemagne en France (Charlemagne était d'ailleurs un modèle pour István). Je me suis donc plongé dans la Hongrie médiévale allant jusqu'à visiter la Transylvanie qui appartenait jadis à la Hongrie (à ce sujet, je dois te dire que le meilleur tiramisu que j'aie jamais mangé se trouvait dans le restaurant Bella Musica de Brașov). La rédaction m'a pris encore six mois parce que j'étais sans cesse arrêté par des détails comme l'aspect des fenêtres ou bien les couverts utilisés à table (savais-tu que la fourchette n'a été utilisée qu'à la Renaissance ?). 
 
Deuxièmement, il s'agit d'un roman hongrois. La Hongrie est un thème récurrent dans mes romans (mon épouse est d'origine hongroise). Une partie de Nephilim se déroule à Budapest, comme l'ouverture de La Cité de Satan, ainsi qu'un passage de L'Antilégende pour ne citer que ceux-là. À cette époque, j'habitais à Budapest et c'était l'occasion rêvée pour écrire ce roman qui me trottait dans la tête depuis un moment. Je voulais raconter une espèce de malédiction hongroise dont l'identité m'apparaissait encore scindée entre un christianisme chevillé au corps et un imaginaire nomade. La lutte entre István le chrétien et Koppány le chef de tribu me semblait bien incarner cette profonde fêlure que l'on pouvait rapprocher de la position du pays entre Orient et Occident, écartelé plus tard entre nazisme et stalinisme.
 
Je voulais aussi en faire de la vraie fantasy historique et épique. L'affrontement entre les croyances chrétiennes, avec la lance miraculeuse du Christ, et les pouvoirs des chamanes táltos me semblait fertile. Cependant, j'ai essayé de ne pas tomber dans le moindre manichéisme et donner à chacun sa voix. L'une de mes inspirations était Le roi d'août de Michel Pagel (édité aussi chez J'ai lu) qui m'avait donné envie de me lancer dans ce type d'histoire.
 
Pour l'aspect mythologique, je suis allé chercher du côté du western. En effet, István opère une reconquête de son pays, une sorte de conquête de l'est sur les tribus païennes à cheval. Je me suis alors programmé le visionnage de pas moins de 70 westerns qui ont irrigué mon inspiration. On retrouve de nombreuses scènes qui adaptent des idées trouvées dans Rio Bravo, Fort Bravo ou Il était une fois dans l'ouest. Je pense qu'un connaisseur du genre peut s'amuser à retrouver les inspirations qui parsèment le roman. Le titre même du roman est une reprise du titre français d'un western que je n'ai même pas pu voir tellement il était peu connu et diffusé.
 
L'autre nouveauté a consisté à travailler avec Thibaud Eliroff. J'avais fait sa connaissance peu de temps auparavant aux Utopiales de Nantes. On s'était mis à discuter sans que je sache qui il était (c'est-à-dire un éditeur, espèce très recherchée par les auteurs, à plus forte raison quand ils bossent pour Pygmalion et J'ai lu). Après avoir blagué, si je me souviens bien, sur les mérites comparés du bortsch et de la goulache, on avait fini par se présenter et par parler boulot. Comme il avait apprécié Requiem pour Elfe noir, je lui ai proposé le projet qui me semblait le plus adapté à Pygmalion, de la fantasy historique. On a d'ailleurs retravaillé plus tard ensemble pour Furor. Et, même s'il ne m'a plus édité depuis 2013, je persiste à le considérer comme un ami. C'est dire à quel point je ne suis pas rancunier. Ce fut aussi l'occasion de travailler pour la première fois avec Alain Brion qui a donné une couverture magnifique.
 
Alors, que reste-t-il de ce roman ? Souvent, quand on me demande quel est mon roman préféré parmi ceux que j'ai écrit, je me voile de pudeur en disant qu'on ne choisit pas parmi ses enfants. Il faut me tirer l'oreille pour que j'avoue une petite fierté particulière pour Le Châtiment des flèches. Jusque-là, je songeais surtout à la somme de travail qu'il m'avait demandée. En le relisant, je peux te dire honnêtement que je pense avoir rendu justice à mon sujet. Dans mon esprit, qui dit épique, dit Victor Hugo. J'ai donc lu et relu La Légende des siècles à l'époque afin de donner à ma prose des accents hugoliens. Et cela fonctionne, même si certains lecteurs peuvent considérer que le texte ressemble parfois à un pastiche d'Hugo. J'aime ce roman parce qu'il est riche, dense et tendu.
 
Il n'a en revanche pas soulevé l'enthousiasme des foules. Il a connu une réédition en poche chez J'ai lu en 2012 mais je suis loin d'en vendre autant que je le voudrais. Le roman a failli être traduit en hongrois. Une traductrice était intéressée et avait soumis le projet à un éditeur mais, par manque de moyens, le projet a été abandonné. J'avais eu l'honneur de parler de mon roman à l'Institut hongrois de Paris grâce à Ibolya Virág.
 
Même si Le Châtiment des flèches n'a pas eu le succès escompté, même si j'aimerais qu'il bénéficie d'un nouveau coup de projecteur, je reste extrêmement fier de ce travail qui demeure, à mes yeux, la plus belle déclaration d'amour à la Hongrie que je pouvais écrire.

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