2 février 2011

Rubicon ou l’inclination suspicieuse


Il n'en existe que treize épisodes, puisque la série a été arrêtée à la fin de la première saison, faute d'audience. Et pourtant, cela vaut le coup d'œil. Malgré le titre, qui fait référence au cours d'eau franchi par César quand il déclencha la guerre civile, tu verras qu'on est plus proche des Trois jours du Condor que de la conquête des Gaules.

Will Travers (dont le nom est tout un symbole) travaille à l'API, une agence de renseignement dont le statut demeure énigmatique. Le jour où son patron, le très superstitieux David, qui est également son beau-père, meurt dans un accident de train, Will est gagné par des soupçons qui se confirment rapidement. Il n'y a rien d'accidentel à tout cela. Will, promu chef d'équipe, va tenter d'y voir plus clair.

Il ne faut pas chercher des scènes d'action à la 24. Nos héros sont des analystes en manque de sommeil qui se demandent s'ils ont bien fait de choisir cette voie au lieu de publier des livres de philo ou de devenir banquier. Car nul n'entre à l'API s'il n'est titulaire d'au moins une ou deux thèses. Les cascades se font à l'échelle neuronale, dans un bureau déprimant, à grand renfort de café. D'ailleurs, un passage montre à quel point les analystes font preuve d'une certaine condescendance envers les agents de terrain, qualifiés de « sportifs ».

Exit donc la violence physique, à part quelques rappels douloureux (le passage d'un nettoyeur, la torture d'un prisonnier). Les courses-poursuites se limitent à des filatures dans la rue. Et pourtant, malgré la lenteur, il y a une tension constante dans les épisodes qui parviennent à créer du suspense à partir de rien. Car, dès le début, on est persuadé qu'il va arriver quelque chose de terrible.

La suspicion règne. Les personnages sont pris dans un complot. Les analystes sont à la recherche de signes, si possibles anodins, dont la signification se révèle une fois qu'on les a réunis. Ainsi, chaque détail peut devenir un indice. Et tout le monde se surveille, s'épie. L'ouverture de la série se fait sur un code passé dans les mots croisés des grands quotidiens, c'est dire.

Mais, ce qui est le plus intéressant, c'est que la suspicion généralisée est toujours menacée de délire dans la série. Ainsi, le chef de Will est superstitieux au point de ne pouvoir marcher sur le chiffre treize d'une place de parking. Quelle différence y a-t-il alors entre la superstition et la suspicion ? De même, le vieux Ed, ancien membre de l'API, qui a fini par être brisé par les codes qu'il était chargé de détruire et est désormais en repos, toujours à deux doigts de retomber dans une dépression nerveuse.

Il faut parler des acteurs qui sont pour beaucoup excellents : Will est très bien en esprit tourmenté (il a perdu sa femme et sa fille dans les attentats du 11 septembre) et acharné. Les épisodes permettent de développer le caractère des seconds rôles de son équipe. Mais le meilleur à mon avis est le supérieur de Will, Kyle Ingram, complètement ambigu, mélange de zénitude et de violence latente, qui se lève la nuit pour explorer son appartement et en extraire les micros.

L'ensemble donne lieu à quelques scènes mémorables, comme celle du nettoyeur qui passe comme une ombre, celle de la recherche des micros, de la surveillance du mariage ou du rendez-vous dans le parc. Il y a même de l'humour, ce qui ne gâte rien. C'est un grand bonheur de se laisser porter par cette fausse lenteur. Dommage que le complot finisse par être découvert. Reste la suspicion.

6 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est vrai que c'est une bonne série, avec des seconds rôles assez poussés. Dommage qu'elle s'arrête comme ça sans réelle fin, c'est un peu frustrant. En même temps j'attends les séries qui ne durent qu'une saison mais qui sont crées dans ce but : on commence la série on sait que cela va s'arrêter et que les scénaristes ont prévu le coup...
Mais Rubicon est bonne série que je conseille aussi de voir (pas comme "Persons Unknown" dans le genre série en une saison pas prevu pour s'arrêter...)
Fred (jakarta)

Michael a dit…

Une très bonne série mais la l'absence de fin est vraiment difficile à digérer.

CLAVELUS a dit…

D'une certaine manière, la fin est donnée par le chef de l'API : "Qui cette histoire va-t-elle intéresser ?".

Mais ce côté inachevé, qui gâche un peu le dernier épisode, participe de l'impression trouble de la série avec les questions qui restent en suspens.

Mazoutos a dit…

As-tu jeté un oeil aux "piliers de la terre" (8 épisodes), adapté avec beaucoup de liberté du roman de Ken Follett ?

CLAVELUS a dit…

Pas encore. J'attends l'occasion. Et puis il faut que je lise le roman aussi. Et que je teste le jeu. Bref, il y a du boulot !

Mazoutos a dit…

Le roman est excellent (quoique tout bon médiéviste maudisse le traducteur, qui laisse les noms en anglais alors qu'il s'agit de nobles français ainsi qu'un paquet d'autres billevesées) ; le jeu est bon aussi.