7 août 2009

Rigoletto ou la malédiction du personnage


Hier soir, j'étais à l'Opéra de Budapest pour assister à la représentation du Rigoletto de Verdi. Je l'avais raté en juin alors que je voulais y emmener des élèves après l'étude de la pièce de Hugo, Le Roi s'amuse, qui est à l'origine du livret.

En deux mots, c'est l'histoire de Rigoletto, bouffon du Duc, qui a une fille cachée, Gilda, qu'il essaye de protéger des vicissitudes de la cour. Mais le Duc est un fieffé séducteur qui multiplie les conquêtes. Un jour, Monterone, un père dont la fille a été déshonorée, maudit le Duc, ainsi que Rigoletto pour s'être moqué de lui. On comprend vite que le Duc va finir par mettre la main sur la fille de Rigoletto.

C'est mon opéra préféré, juste derrière le Don Giovanni de Mozart (ben, oui, j'ai des goûts classiques). On retrouve d'ailleurs beaucoup de similitudes de thèmes : le séducteur, le père outragé et vengeur, la jeune fille victime, ainsi qu'une sorte de malédiction qui poursuit le personnage principal.

Ici la mise en scène était extrêmement intéressante (je passe sur le reste qui était aussi très bien). Déjà, le rideau était rouge d'un côté, sauf sur une portion à droite qui était grise et montrait le passage de la comédie au drame. Ou bien la sortie de l'illusion mimétique.

Pendant l'ouverture, on y voyait Rigoletto mettre son costume de bouffon devant une espèce de miroir d'artiste encadré de lumières. Cet élément de mise en abyme a été filé tout au long de l'œuvre.

Quand le personnage se plaignait d'avoir été maudit et que le spadassin Sparafucile venait lui proposer ses services d'assassin, ce dernier apparaissait derrière le miroir, comme un reflet du bouffon. Vêtu de cuir rouge, il prenait des allures sataniques et sa proposition devenait un pacte avec le diable.

D'un autre côté, la cantatrice hongroise Andrea Rost, la star de la soirée, campait une Gilda qui d'habitude est plutôt virginale. Ici, elle devenait, grâce à son timbre riche, bien plus sensuelle. On comprenait mieux pour le Duc en avait après elle. Le personnage du séducteur en était plus humain car il ne paraissait pas rechercher perversement une innocence à déflorer, mais un simple plaisir des sens. Cela l'éloignait d'ailleurs de Dom Juan.

Inutile de te dire que ça finit super mal. Rigoletto, une fois que Gilda a été "souillée" par le Duc, prend fait et cause pour Monterone et essaye de faire assassiner son maître. C'est lui qui prendra en charge la malédiction. Il s'adresse à Sparafucile pour faire le boulot mais celui-ci finit par tuer Gilda qui se sacrifie pour le Duc. Découvrant le corps sans vie de fille, Rigoletto comprend que la malédiction vient de le frapper lui, tandis que le Duc s'en sort indemne. Il voit alors le mur s'ouvrir et apparaître une version agrandie du miroir d'artiste contre lequel il va frapper en vain.

Comment comprendre ce motif ? Cela exprime l'impossibilité pour le personnage de sortir de son rôle. Dès qu'il essaye d'incarner la malédiction, qui est le fait des dieux, du narrateur, il tente de devenir metteur en scène ou auteur. D'ailleurs, à ce moment, précis dans la pièce, il brise le miroir d'artiste. mais il va être puni de son outrecuidance de créature, de son hubris. La malédiction, la némésis, lui retombe dessus pour le punir. Le Duc, qui n'est pas sorti de son rôle, n'est jamais inquiété. Ainsi la malédiction du personnage est le fait de ne pouvoir sortir de son rôle, qu'il soit social (le bouffon veut se faire père) ou littéraire (le personnage veut se faire auteur).

En tout cas, ça déchirait grave et j'espère que mes élèves auront l'occasion de voir cette mise en scène. A bon entendeur...

Image : source Wikipedia, Ah ! la maledizione de Rigoletto de Verdi, 2008

4 commentaires:

claude a dit…

mais c'est que tu me donnerais presque envie d'aller à l'opéra dis moi, vil personnage (pourtant auteur).

CLAVELUS a dit…

C'est le but (presque) avoué. Je vais répandre l'opéramanie à travers le monde ! Meeeuuuaaaahahahhahaha (Rire maclavélique*) !

* Je sais, c'est un néologisme.

L'institE a dit…

"Maclavélique" !!!!!!!!!!!!!
Hahahahahahahaha!!!!!!!!!!!!

charlotte a dit…

Tu prêches une convertie. Mais j'avoue plutôt un faible pour Wagner et Dvorak.
Fab et moi avions eu un moment l'idée d'aller à l'opéra de Budapest, mais il n'y avait rien en juillet. Du moins, rien qui correspondait. Je vais guetter ce qui se passe du côté de paris, avec un peu de chance, ton Rigoletto se déplacera jusque chez nous ?