22 décembre 2022

Il y a dix ans : Furor


En 2012 (c'est le dernier de l'année, promis) sortait Furor, d'abord chez Nouveaux millénaires, avant d'être reprise l'année suivante chez J'ai lu (c'est d'ailleurs cette couverture que je te donne, la première n'ayant pas été une immense réussite). C'était ma deuxième collaboration avec Thibaud Eliroff. Nous avions travaillé sur un projet de fantasy avec Le Châtiment des flèches. Là, il s'agissait de proposer un texte de science-fiction. 

Si je me souviens bien, je sortais à l'époque de la lecture de deux romans de Silverberg, Les Déportés du Cambrien et Les Profondeurs de la Terre. Le thème du nucléaire s'est imposé à moi. Je me suis posé la question suivante : que faire des déchets ? La réponse m'est venue assez vite : et si on faisait comme dans Les Déportés du Cambrien ? On les envoie suffisamment loin dans le passé avec une machine temporelle pour que, quand l'homme apparaît, les éléments ne soient plus radioactifs. Je me suis donc documenté sur les méthodes d'enfouissements des déchets et suis tombé sur Onkalo. Cela m'a donné l'idée de signaler le site par une pyramide noire.
 
Mais cela ne me faisait pas une histoire. C'est là que Les Profondeurs de la Terre interviennent. Il s'agit d'une réécriture d'Au cœur des Ténèbres de Joseph Conrad (qui a inspiré aussi Apocalypse Now). Je voulais une sorte d'épopée terrible d'une armée qui s'enfonce dans la forêt jusqu'à un terrible secret. J'ai cherché une défaite des Romains parce que je cherchais à créer un contraste fort entre la technologie de pointe de la science-fiction et le décor. J'ai trouvé la défaite catastrophique de Varus autour de l'an 00 de notre ère. En plus, cela se passait dans les forêts germaines qui pouvaient être aussi impressionnantes que la jungle du Vietnam ou des forêts l'Afrique subsaharienne. 

J'avais aussi en tête le film Predator où la nature sauvage est utilisée pour un scénario de science-fiction. Je voulais absolument un titre en –or. J'ai donc cherché des termes latins. C'est ce qui m'a amené aux théories de Florence Dupont sur le théâtre latin. Selon elle, le héros tragique se caractérise par le furor, une sorte de folie furieuse due à une douleur inhumaine et qui l'amène à un crime inhumain. J'avais donc mon titre en –or. 

Pour l'écriture, je tenais absolument à une narration chorale pour envisager les différents aspects de l'armée romaine : un haut gradé, un sous-officier, un troufion et une prostituée pour évoquer tous les marchands qui accompagnaient une armée en marche. Pour le style, je voulais un présent poisseux. Mais il me fallait aussi évoquer les pensées des personnages. J'ai opté pour du flux de conscience au présent, à la première personne et sans ponctuation. L'influence de La Ligne rouge de Terrence Malick a été déterminante puisque ses personnages s'expriment en voix off. Je me suis aussi penché sur Zone de Mathias Enard, gros roman qui tient en une seule phrase. 

En relisant Furor, je trouve que c'est à ce jour mon sommet stylistique. L'écriture est forte et belle (en tout cas à mes yeux). Je ne pense pas avoir fait mieux que cela. Pour le fond, j'aime toujours cette approche qui fait un roman double : les romains sont dans une histoire de fantasy, tandis que le lecteur est dans une histoire de science-fiction. Je m'en suis expliqué ici. Je regrette de ne pas avoir mieux réussi à montrer les enjeux science-fictifs de cette histoire. Je n'ai pas trouvé le moyen d'insuffler aux personnages des réponses pour satisfaire le lecteur contemporain. Normalement, le roman devrait se passer d'explications ; là, j'ai l'impression qu'on ne peut pas en faire l'économie. 

Ce roman a constitué un tournant important dans mon petit univers intérieur. Il a permis d'introduire le thème du voyage dans le temps. Je me suis servi de cette pyramide dans des séries aussi différentes que Panique dans la mythologie, Nixi Turner et les Croquemitaines, Les Escape Geeks. On aperçoit cette pyramide noire dans L'Espionne de l'Olympe, La Niréide et bientôt Morgana. J'ai raconté les coulisses de la construction de cette pyramide dans Asynchrone, dans Le Centre et dans la nouvelle « Les portes qui ne donnent sur rien ». Autant te dire que c'est maintenant un élément central pour moi.

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